Mais qui est (vraiment) Keziah Jones ?
Musicien engagé qui n’a jamais eu peur d’embrasser la pop. Attaché à ses racines nigérianes sans pour autant s’interdire d’être nomade. Inventeur d’un style majeur et imparable – le blufunk – mais toujours prêt à se réinventer. Artiste pluridisciplinaire sans limites, imperméable au passage du temps… On n’aura jamais fini de découvrir le discret et inspirant Olufemi Sanyaolu, a.k.a. Mister Jones.
La musique a toujours fait partie de la vie de Keziah Jones. Il se souvient ainsi de son enfance à Lagos, au Nigeria, dont la bande son oscillait entre les chœurs traditionnels écoutés par son père et les disques de ses sœurs joués sur une chaîne hi-fi poussée à fond : Michael Jackson, Teddy Pendergrass, Sly Stone…La musique déjà, apparaissait pour le futur artiste, comme une joie, un partage, un symbole de liberté.
Mais cet engouement n’était en rien circonscrit aux murs de la maison. Conséquence de l’indépendance du pays en 1960, les années 70, durant lesquelles le jeune garçon que l’on appelait alors encore Olufemi grandit, sont dans leur ensemble baignées de rythmes, venus de là ou d’ailleurs, diffusés par la radio et la télévision. Elles aboutissent aussi à une véritable explosion culturelle locale (qui s’intensifiera quelques années plus tard, en réaction à la crise économique des 80’s), avec en point d’orgue, l’iconique FESTAC de 1977. La puissance de ce festival international, voué à promouvoir toutes les disciplines artistiques africaines, restera gravée dans la mémoire de Keziah et de ses contemporains. Pour son rayonnement bien sûr, mais aussi en filigrane, pour l’action du grand musicien protestataire Fela Kuti, qui, s’il boycotte à ce moment l’événement, organise de son côté des concerts gratuits, qui font alors presque davantage de bruit.
Sur les pas de Fela
Créateur de l’afrobeat, un style iconique fusionnant le jazz, le funk et les rythmes d’Afrique de l’Ouest, Fela a toujours été une figure tutélaire pour Keziah Jones.
« Nous venons de la même ville, Abeokuta, et, enfant, je passais devant sa maison tous les jours pour aller à l’école. J’ai grandi en entendant parler de lui incessamment et je n’ai jamais cessé de l’admirer pour sa musique, son courage et son engagement extrême envers son pays, quel qu’en soit le prix. Il reste un modèle, une source d’inspiration. »
Une admiration qui se soldera par une rencontre inoubliable. Ainsi, une fois adulte, en 1996, Keziah se déclare journaliste et demande à l’interviewer. La star est-elle dupe ? Probablement pas. Mais Fela accepte de rencontrer ce jeune homme du quartier qui porte le même prénom que son propre fils aîné, Femi (le futur Femi Kuti). L’entretien durera trois heures et sera publié pour partie dans quelques magazines. « Fela s’est montré très généreux. Nous avons échangé sur de nombreux sujets et nous avons beaucoup ri. Il avait énormément d’humour ; ce que l’on ignore encore trop souvent aujourd’hui. Si le public a pu découvrir des extraits de cette longue conversation, il est difficile de la comprendre sans en écouter l’intégralité. Pour cette raison, j’ai fait plusieurs copies de l’enregistrement d’origine et je les ai distribuées aux musiciens que j’ai rencontrés au fil du temps, à l’instar de Beck ou de Jimmy Cliff. » Une belle conclusion qu’on aurait eu peine à imaginer en 1977, alors que le petit Keziah s’apprêtait déjà sans le savoir, à emprunter le chemin de son idole.
London bridge
« L’indépendance du pays n’avait alors encore finalement que peu d’importance dans les esprits. Après des décennies de colonisation britannique, l’Angleterre était toujours la panacée pour les anciennes générations ; ce que les plus jeunes peinaient à comprendre. Mon père souhaitait que je suive ses traces en choisissant comme lui, de devenir ingénieur électricien. L’Angleterre devait m’y mener, mais la ville de Londres m’a définitivement donné envie de me tourner vers la musique. » Dans sa nouvelle école anglaise, Olufemi bénéficie d’un enseignement complet, des maths à l’histoire, mais qui lui donne aussi – ô joie – l’opportunité d’apprendre à jouer d’un instrument. Ce sera donc… la clarinette. A son corps défendant. Plus chanceux, son grand frère hérite de la guitare, qu’il ne maîtrise finalement qu’à moitié. Et c’est en essayant de l’aider que son cadet découvre ses prédispositions. Poussé par l’un de ses camarades de classe, nigérian comme lui mais beaucoup plus audacieux, il se met également au piano et commence dès l’âge de dix ans, à composer et à écrire, sous l’œil bienveillant de ses professeurs, une foultitude de chansons. Ce n’est cependant que bien plus tard qu’il osera enfin envisager une carrière artistique. Il lui faudra pour cela, à l’heure de la fin du lycée, commencer à écumer les clubs de folk, puis à s’y produire timidement. « J’étais le plus jeune, et en prime le seul africain, mais j’ai été accueilli merveilleusement par les autres musiciens. Là, j’ai fait mes premières armes, mais c’est dans la rue que mon style s’est ensuite affirmé. Il m’a fallu apprendre à jouer très fort pour que l’on m’entende et c’est certainement ça qui a forgé ma façon d’appréhender la guitare. » Son père, bien sûr, ne l’entend pas vraiment de cette oreille. Mais il finit cependant, à force de persuasion, par lui laisser deux années pour faire ses preuves, avant qu’il ne rejoigne, le cas échéant, la fameuse « entreprise familiale ». A 18 ans donc, Olufemi ressent immanquablement l’urgence de peaufiner son style. Et c’est dans un magasin de disques que tout s’éclaire. « Si les meilleurs disques de jazz, de blues, de funk ou de world étaient remisés au fond du magasin, c’était la pop, qui, bien que s’étant forcément inspirée des autres styles, tenait le haut du pavé. J’étais vraiment déterminé à ne pas finir dans l’ombre et j’ai vite compris ce qu’il me restait à faire. »
A l’heure au rendez-vous
« Je voulais expérimenter tout un tas de choses. Explorer le monde pleinement, ouvrir mon esprit et mon cœur, retranscrire mes sentiments dans mes chansons et toucher un maximum de gens sans toutefois renier mes origines. Je me devais donc d’identifier le bon chemin pour y arriver. » Et c’est de cette prise de conscience qu’est venu ce qui allait devenir le propre genre musical de l’artiste, le « Blufunk », qu’il définit aujourd’hui comme « une musique africaine moderne dans un format pop », mais qualifie surtout de « forme de communication universelle ».
Au terme de cette longue réflexion menée d’un bout à l’autre depuis son Londres d’adoption, l’artiste se sent prêt à mettre le cap ailleurs. Direction Paris, qui l’attire d’une manière assez romantique à la façon d’une carte postale, mais reste avant tout indissociable de pointures mondiales, à l’image d’un Miles Davis à Saint-Germain-des-Prés. De quoi lui donner la confiance nécessaire pour essaimer notre capitale, tout en guitare, chapeau et « blufunk » naissant.
Ensuite, c’est à la légende qui, pour une fois dit vrai, de prendre le relais. Car c’est bien à la terrasse d’un café de Beaubourg que la vie de Keziah bascule, tandis que le compositeur Philippe Cohen Solal, future tête pensante du Gotan Project, le repère et lui fait enregistrer ses premières maquettes. Un miracle de son point de vue modeste, d’autant que l’ultimatum paternel lancé deux ans auparavant, s’apprêtait tout juste à expirer.
Une longévité bien employée
A cette entrée en matière prometteuse succéderont tout de même six albums studio incontournables, empreints d’une joie communicative autant que d’un engagement sincère ; de Blufunk is a Fact!, pierre fondatrice de l’œuvre de Keziah Jones, à Captain Rugged (un disque accompagné d’un roman graphique dessiné par son ami et collaborateur Native Maqari, en passant par le sublime Black Orpheus inspiré du Orfeu Negro de Marcel Camus.
Au fil de sa carrière, cependant, Keziah Jones n’aura jamais manqué de se ménager nombre de pauses discographiques, juste parce que selon lui, « faire de la musique n’est pas obligatoirement une activité en lien avec le music business ». C’est donc encore après quelques années passées loin du tumulte, qu’on le retrouve avec bonheur fin 2024, via un album majeur aux allures de manifeste, malicieusement intitulé Alive and Kicking (comprenez « vivant et au top »). Enregistré dans les conditions du live chez lui, à Lagos au Nigéria, ce nouvel opus associe covers et nouveaux titres à ses plus grands tubes en version revisitée. L’inventeur du blufunk l’a imaginé comme un fil traversant sa carrière, une sorte de « résumé des épisodes précédents », délivré avant de dévoiler très bientôt un nouveau disque qu’il annonce plus expérimental, avec un gros travail du côté de la guitare. Pas étonnant du coup, de retrouver ici une reprise du groupe Police, fortement lié à ses jeunes années londoniennes ou un Pass the Joint emprunté à Rick James. Et si l’on se réjouira d’entendre à nouveau son fameux Rhythm is Love en version acoustique, on ne pourra que fondre à l’écoute de sa dernière pépite love, Melissa, accompagnée d’un clip épuré et solaire.
L’alignement des parallèles
Comme il le reconnaît lui-même, jusqu’à aujourd’hui, Keziah Jones n’a presque su se dévoiler qu’au travers de sa musique. Une question de caractère mais pas un avis de non-recevoir pour autant. C’est ainsi qu’il a choisi, dans la foulée de son nouvel opus, de distiller un peu plus de son intimité via un court documentaire de quinze minutes, réalisé par l’un de ses amis, le journaliste danois Steve Borth. Au fil de petits épisodes diffusés sur Youtube et Instagram, les aficionados du musicien ne manqueront donc évidemment pas ce condensé de photos rares, d’extraits d’interviews et de moments « volés » au fil de diverses étapes d’importance. Aussi, à Paris, à la galerie Eric Dupont qui le représente, l’artiste montrera-t-il de novembre 2024 à janvier 2025, l’étendue de ses autres talents, de ceux que l’on accroche plutôt que l’on écoute. Et ce, même si de son propre aveu, ses dessins, réalisés à l’encre et parfois agrémentés de collages, sont une réponse directe à sa musique ; un medium qu’il utilise quand son écriture se fait moins fluide, pour ensuite mieux recommencer. Une catharsis en quelque sorte.
Passeur de rêve
Dans la patrie de Keziah, la musique n’a jamais eu de cesse de se réinventer, et ce, à chaque fois, par la grâce de pionniers inspirés. Ainsi, au « highlife », mélange de sonorités traditionnelles, de jazz et de calypso, venu du Ghana au début du 20è siècle, a succédé dans les 70’s, l’ouragan « afrobeat » local. Mené par Fela bien sûr, mais aussi Tony Allen, ce nouveau genre dérivé du précédent, sauf que mâtiné de funk et plus revendicatif, aura marqué toute une génération, libre à son tour de s’affranchir des carcans. C’est ainsi, qu’en mariant influences africaines, blues, funk et finalement surtout pop, le génial Mister Jones a fini de faire sauter toutes les barrières qui éloignaient encore ses aînés de l’Occident.
Et de fait, la jeune scène nigériane à laquelle Fela puis Keziah ont un jour ouvert la voie, avance désormais inexorablement avec bien plus de légèreté qu’elle n’aurait autrefois pu l’espérer. Aujourd’hui donc, c’est de façon parfaitement décomplexée que les tenants de l’« afrobeats », courant phare du moment, délivrent un style fusion imaginé pour faire la fête sans entraves, dans un grand mouvement de créativité où à la musique des origines, s’ajoutent hip hop, dancehall et r’n’b.
« Si je pense qu’il est important pour un musicien africain de justement s’éloigner de l’image que l’on se fait d’un musicien africain, il m’apparaît évident que les têtes d’affiche d’aujourd’hui et surtout de demain ne fermeront jamais les yeux. », commente-t-il ainsi. Et de conclure avec grâce et de manière convaincue : « La musique est un cadeau spirituel, quelque chose qui amène à la conscience. »
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