Shaolin Soul

SHAOLIN SOUL PLAYS MOTOWN

SORTIE EN CD ET DOUBLE VINYLE LE 6 DECEMBRE 2019

C’était il y soixante ans, en 1959.
Dans un endroit qui était alors un des plus florissants des États-Unis. Fleuron de l’industrie automobile américaine, cinquième ville du pays, rutilante comme une calandre chromée. Un moteur au propre comme au figuré. Detroit.
Inspiré par la dynamique des usines, c’est là que Berry Gordy posa les premières notes de ce label appelé à devenir un des plus marquants de l’histoire de la musique : Motown.
Des chaînes de montage de Motown sortiront des mécaniques de précision. Des compositions, des mélodies, des interprétations réglées avec une acuité d’orfèvre, exécutées par des groupes tournant sans à-coups ni chaos. Huilés à la perfection.
The Four Tops, The Temptations, Diana Ross & The Supremes, The Jackson Five, Tammi Terrell, Motown comptera des artistes de références par dizaines. Smokey Robinson, Ashford & Simpson, Holland-Dozier-Holland, The Funk Brothers, des associations d’auteurs- producteurs et un band de musiciens maison forgeront cette identité sonore qui résonne dans l’inconscient à la simple évocation du nom Motown.
Ce son pop et joyeux, voire insouciant avec ses rythmiques dansantes, ses claquements de mains et ses harmonies vocales inspirées du gospel. Surtout, ce son assez universel pour pénétrer les foyers blancs sans froisser l’intransigeance du public noir.
Des hits à ne plus savoir qu’en faire, des classiques encore aujourd’hui revisités par des groupes de tous bords musicaux, le label de Detroit servira aussi de rampe de lancement à des artistes trop à l’étroit dans les règles de la maison. Trop créatifs pour laisser leur sort dans d’autres mains que les leurs. Trop en avance pour se laisser entraver.
Lister les artistes influencés de près ou de loin par Stevie Wonder ? Une folie. Mesurer la portée de What’s Goin’ On, plus de quatre décennies après sa parution ? Aucune machine n’est capable de le faire.

C’était il y a vingt et un ans, en 1998.
Uncle O sortait sa compilation Shaolin Soul, sans savoir qu’il venait d’inaugurer ce qui deviendrait une série.
En frappant notamment aux portes de Hi Records, les deux premiers volumes s’attachaient à retrouver la source des samples du Wu-Tang Clan. Les deux suivants, sans contrainte de labels ou d’artistes, s’affranchissaient de cette quête de boucles pour se focaliser sur une seule et unique chose : retrouver l’âme Shaolin. Un esprit. L’obscurité percée d’une lumière qui jamais ne l’inonde totalement. La vibration nostalgique diffuse ou dominante, parfois tragique et déchirante car souvent en prise directe avec la soul des musiciens et des interprètes.
Pour ce nouvel épisode, Uncle O a concentré toutes ses recherches dans le catalogue de la Motown. Une limite toute relative quand on sait la production pléthorique de la firme de Detroit. Des montagnes de disques passés au tamis pour séparer la pépite des alluvions. Des 45t sondés dans leur face cachée, des angles morts de la production Motown scrupuleusement inspectés. La rareté ne faisant pas qualité, O s’est aussi replongé dans des albums plus visibles pour y débusquer, perdu dans le tracklisting, un titre à l’âme Shaolin jusqu’alors passé sous les radars car caché derrière un hit beaucoup plus gros que lui.
Marvin Gaye, Gladys Knight & The Pips, Diana Ross, Willie Hutch ou Michael Jackson : les grands noms du label partagent l’affiche avec d’autres artistes moins évidents. Comme Michael Masser, dont le talent d’écriture fera les beaux jours de Whitney Houston, de Diana Ross ou de Teddy Pendergrass. Comme Yvonne Fair, l’une des toutes premières chanteuses produites par James Brown ou Rose Banks, sœur de Sly Stone : toutes deux talentueuses mais dont on ne trouve la trace vocale que sur un seul et unique album.
Une centaine d’heures à faire tourner la platine jusqu’à son épuisement. À arpenter les sillons de la maison mère mais aussi ceux de Tamla, de MoWest, de Gordy et de Soul, quelques- unes de ses ramifications. Élaborer une liste de titres, la raturer, la repenser, l’affiner jusqu’à ce qu’enfin, de cette imposante mine mise à disposition, Uncle O tire cette nouvelle sélection rigoureuse et cohérente.
Celle d’une âme Shaolin qui palpitait aussi dans le cœur de la Motown.

Franck Cochon