Orbital

NOUVEL ALBUM
OPTICAL DELUSION
17/02/23

« L’être humain fait l’expérience de lui-même, de ses pensées et de ses sentiments comme quelque chose de séparé du reste [de l’humanité] – une sorte d’illusion d’optique (“Optical Delusion”) de sa conscience. Cette illusion est une sorte de prison, nous limitant à nos désirs personnels et à l’affection que nous portons aux quelques personnes les plus proches de nous. Notre tâche est de nous libérer de cette prison… »

Vous connaissez peut-être cette citation attribuée à Albert Einstein sur les réseaux sociaux. Elle a interpellé Paul Hartnoll d’Orbital dans le livre de Michael Pollan paru en 2018, “How to Change Your Mind : What the New Science of Psychedelics Teaches Us About Consciousness, Dying, Addiction, Depression and Transcendence”.

“Dès que j’ai vu le terme « Optical Delusion », je me suis dit que c’était le titre de l’album”, dit Paul. « Ca en dit tellement long sur la façon dont les gens construisent leur propre réalité, comment nous nous conformons à des modèles qui n’existent pas, comment nous voyons ce que nous voulons voir.”

« La citation d’Einstein est erronée. En fait, il dit que l’expérience humaine est aussi relative que la physique. Pourquoi ne pas accepter cela et trouver une sorte de théorie universelle appliquable à l’être humain?”

Voici donc « Optical Delusion », le dixième album d’Orbital, deux frères restés au sommet de leur art plus longtemps que n’importe quel autre groupe d’Acid House des 90s, toujours dans un élan de créativité renouvelée.

L’été dernier est sorti le coffret « Thirtysomething », pour les trente ans du duo. Au programme des reworks et remixes de titres emblématiques d’Orbital (par Yotto, ANNA, Jon Hopkins, Dusky, Joris Voorn, Logo 1000, Eli Brown, Shanti Celeste, David Holmes etc.). “Chime”, “Satan”, “The Box”, “Impact”, “Halcyon” et bien d’autres, présentés sous de nouvelles formes

Le retour des concerts et des festivals a montré pourquoi le live d’Orbital est à juste titre considéré comme un incontournable de la scène électronique.

Avec « Optical Delusion », les frères Hartnoll approfondissent un peu plus la psyché troublée de notre monde de plus en plus surréaliste et désordonné. Esquissé en partie pendant le confinement mais entièrement enregistré dans l’incertitude du monde d’après, l’album évoque des émotions paradoxales et le moment où les heures sombres de la science-fiction que les Hartnolls regardaient à la télévision enfants sont finalement devenues réalité. Il propose des morceaux hypnotiques (« The New Abnormal », « Requiem For The Pre-Apocalypse », « Day One »), des rêves cosmiques éthérés, des guerres de sons abstraits et des chansons profondément humaines traitant de la séparation et de la perte.

Le premier single “Dirty Rat”, titre engagé porté par la voix de Sleaford Mods, Jason Williamson, quelque part entre The Fall et Front 242, nous transporte à l’époque anarcho-punk politisée des Hartnolls. La collaboration a commencé par un échange de remixes (Orbital a remixé « I Don’t Rate You » de Sleaford Mods) puis s’est poursuivie en une tirade comique, brutale et pleine de basses, non pas tant contre nos gouvernants que contre les électeurs mesquins et craintifs qui les ont mis au pouvoir : les gens qui « blâment tous ceux qui sont à l’hôpital / blâment tous ceux qui sont au fond de la Manche / blâment tous ceux qui ne ressemblent pas à un animal frit ».

« C’est un grand morceau, n’est-ce pas ? », dit Paul. « Une déclaration, simple et forte. C’est du punk rock, un vrai morceau pour se réveiller. ». « Jason est brillant”, dit Phil. “C’est une vibe dance music oldschool, avec des bouts de Cabaret Voltaire et même de The Shamen. Et c’est une déclaration très simple. Vous avez voté pour eux, alors prenez vos responsabilités. »

“Ringa Ringa (The Old Pandemic Folk Song)” qui ouvre l’album en est aussi un élément clé. Le titre revient à un truisme d’Orbital qui dit que le temps devient toujours une boucle. Ce groove cyclique d’Orbital fait place à un troublant mélange de passé et de présent alors que les Ménades gothiques The Mediaeval Baebes apparaissent pour chanter « Ring O’Roses », cette innocente comptine dont les racines remontent à la peste noire.

« J’ai toujours aimé la musique folk et les sons médiévaux », explique Paul, lui-même danseur Morris occasionnel. « J’avais la base de ce morceau et je voulais l’exploiter d’une manière ou d’une autre ». En fouillant dans ses archives, il est tombé sur la version de « Ring O’Roses » de The Mediaeval Baebes et en a eu le souffle coupé. “Je me suis dit que c’était la chanson folk “pandémique” originale. »

Le côté effrayant d’un morceau aussi sombre, évoquant une mortalité massive, qui se transforme en un chant de cour de récréation, le préoccupait. Le cercle de roses représentant les bulles fatales sur la peau des victimes de la peste, les éternuements et les chutes soudaines… Les résonances du COVID ne pouvaient être ignorées. Et pourtant, elles s’étaient diluées avec le temps. « Ça collait tellement bien. Ça me hantait de voir que c’était tout à coup de nouveau pertinent. » Devenu le titre qui ouvre “Optical Delusion », « Ringa Ringa » plante le décor d’un tour du monde post-peste, de toutes ses illusions et de ses étranges merveilles.

Il y a de nombreuses collaborations sur cet album. L’auteure-compositrice-interprète londonienne Anna B Savage apporte sa voix fragile et irrésistible, semblable à celle d’Anohni, à « Home », dans laquelle la nature reprend possession des mégapoles brûlées et vides.

“Day One », avec Dina Ipavic au chant, est un titre techno palpitant.

Le pensif « Are You Αlive ? » vient s’ajouter aux questions existentielles que pose Orbital (« Are We Here ? », « Where Is It Going ? ») en collaboration avec Penelope Isles, alias Lily et Jack Wolter, frère et soeur. « On bosse dans le même studio! Et ils ont tous les deux des voix incroyables », dit Paul. La démo est issue d’un projet 6Music intitulé « The Virus Diaries » que Paul a réalisé avec son ancien camarade de classe, le poète Murray Lachlan-Young. Tous les mercredis, les deux hommes devaient livrer un morceau; celui-ci s’appelait initialement « Garden Centre ». Puis Paul a commencé à se demander ce que cela donnerait avec des voix chantées. Les paroles de Lily Wolter l’ont transformé en une chanson de rupture obsédante et c’est devenu une magnifique mélodie de boîte à musique – toute la poésie de ces dernières années réunie en un seul morceau.

Le bouillonnant et protéiforme « The New Abnormal  » semble avoir choisi son propre nom (« Je l’ai envisagé comme un film d’information des années 1970 sur le monde d’après, du genre, voici comment vous allez devoir vivre maintenant… « ). Et « Requiem For The Pre Apocalypse » oscille entre une drum’n’bass rétro et orbitalisée à la « Snivilisation » et une étrange nostalgie de l’époque où le monde était toujours debout.

« Quand la pandémie est arrivée, les morceaux agressifs ont été un peu laissés de côté », dit Paul. « Je me suis plutôt tourné vers une ambiance douce ou mélancolique. En mode ”Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? ».

Mais Orbital est Orbital et n’est jamais loin du dancefloor. “Finalement les passages un peu plus agressifs ont à nouveau été envisagés. « You Are The Frequency », le premier des deux morceaux sur lesquels figure le mystérieux chanteur The Little Pest, entoure l’auditeur de voix déformées qui lui ordonnent de se rendre sur le dancefloor (Phil: « nous voulions que la musique vous absorbe »). Et le second, le sinistre « What A Surprise », vous piège dans une galerie des glaces électronique paranoïaque.

Phil a enregistré « What A Surprise » lors d’une session nocturne avec The Little Pest « en chuchotant, en marmonnant des mots dans son téléphone », dit Phil, « et ça a fonctionné ». Le résultat est un monologue intérieur insidieux de peur et de méfiance. « Tout tourne autour du fait que nous sommes tous radicalisés, pas seulement des putains de terroristes », dit Phil. « Nous nous poussons tous à l’extrême. » Le délire optique encore, la malédiction humaine de voir des modèles qui n’existent pas, des dieux et des démons à la conspiration moderne et à QAnon.

Autre clin d’œil au passé d’Orbital, la pochette est l’œuvre du peintre John Greenwood, comme pour les albums ‘Snivilization’, ‘In Sides’ et ‘Monsters Exist’. Un retour aux constructions techno-organiques qui expriment en quelque sorte le son d’Orbital, fertile et incontrôlable.

« Il y a quelque chose dans ses peintures qui résonne parfaitement avec notre musique », explique Paul. Ils ont donné le titre et le concept à Greenwood et le peintre a proposé « cette étrange créature robotique dorée qui est comme piégée dans les éclats de son propre luxe ». C’était sa vision des choses et nous avons adoré. » Paul pense que Greenwood aborde l’art de la même manière qu’Orbital aborde la musique. « C’est comme s’il voulait remplir chaque espace avec quelque chose de bizarre et d’intéressant, nous faisons la même chose. Regarde, il y a un vide là, colle quelque chose dedans… ».

Il est temps d’adopter l’”Optical Delusion”,  non pas ces systèmes malveillants d’auto-illusion mais nos propres pouvoirs de façonner le monde comme nous le voyons, et ainsi de le rendre plus beau. De découvrir des modèles que nous créons simplement en les percevant, comme la musique elle-même.

Trouver toutes les choses merveilleuses qui n’existent pas vraiment, mais qui signifient tout de même quelque chose.