Nadsat (Compilation)

COMPILATION MAINTENANT DISPONIBLE 

Les fans d’Orange mécanique le savent : le “Nadsat” est l’argot étrange que parlent Alex – l’effrayant héros du livre d’Anthony Burgess puis du film de Stanley Kubrick – et ses droogs, les membres de son gang. Il s’agit d’une langue imaginaire qui mixe russe, anglais cockney, français et quelques termes gitans. Le nom même de nadsat avait été choisi par Burgess car le mot désigne en russe l’ensemble de la population adolescente. 

NADSAT, c’est aujourd’hui le titre d’une nouvelle compilation que Because Music et l’agence AMS consacrent à la toute dernière génération électronique française, celle qui justement sort à peine de l’adolescence – et tout juste du confinement.  Depuis une dizaine d’années, un nouveau public a émergé sur les dancefloors : plus métissé, plus féminin, plus banlieusard, plus looké. En 2020, les jeunes qui sortent – ou, du moins, qui sortaient jusqu’à la pandémie du covid-19 – danser en club ou en rave écoutent autant du rap, de la pop, de l’afrobeats et du reggaeton que de la house, de l’électro ou de la techno. Et quand ils ou elles s’intéressent à celles-ci, c’est souvent pour aller chercher sur leurs versants les plus extrêmes, ou en tout cas les moins validés par leurs aînés : le gabber, la trance ou l’eurodance. Des musiques populaires par excellence, qui méprisent le bon goût, et que ces filles et garçons, devenus DJ ou producteurs, se réapproprient et font muter spectaculairement sur Nadsat.

Mais la musique que l’on entend sur les quatorze plages de Nadsat correspond moins à un son en particulier qu’à une attitude commune à tous ces artistes : ils se fichent d’être identifiés à un genre défini – que ce soit, au hasard, de la techno, de la UK bass ou de la club music africaine – et de suivre un créneau précis dans l’unique espoir d’être bookés par le circuit correspondant. Ils ont pour l’essentiel fait leurs premières armes dans des lieux semi-clandestins de la banlieue parisienne, face à des danseurs qui n’attendaient pas forcément un genre plus qu’un autre. Et quand on écoute leurs morceaux ou leurs DJ sets, on entend tout de suite cette liberté de ton, cette capacité à faire se téléscoper des formes contemporaines qui à d’autres sembleraient éloignées. Ils mélangent ainsi les codes et les accents pour en tirer leur langue personnelle, leur nadsat à eux, en somme.

Nadsat accueille des artistes “émergents”, mais qui ont déjà tous une solide expérience du DJ-ing ou du live, et se sont parfois produits devant des milliers de personnes. Certains d’entre eux sont par ailleurs bien installés dans le milieu de la mode ou de l’art contemporain. On pense à Crystallmess, qui a notamment joué pour la marque Telfar, et qui l’an dernier a signé une installation-performance intitulée Collective Amnesia : In Memory of Logobi, montrée entre autres à la Gaité Lyrique. Mais plus généralement, ces jeunes gens et jeunes filles sont tous versés de près ou de loin dans le style et l’image – graphisme, photo, mode, vidéo –, qu’ils savent manipuler et hybrider aussi adroitement que le son. Il n’y a qu’à jeter un œil à leurs comptes Instagram pour s’en rendre compte.

La plupart d’entre elles et d’entre eux sont des figures solitaires, autonomes, en général non-affiliées à un crew. Ils et elles ont en commun une approche avant-gardiste de la musique mais possèdent déjà chacun un son distinct, selon des déclinaisons plus ou moins pop (ascendant vierge, DJ Varsovie, Maud Geffray & Krampf…), plus ou moins dures (Sentimental Rave, aamourocean…), ou plus ou moins club (Crystallmess, Kabylie Minogue, AnyoneID…). On croise aussi sur Nadsat deux “familles”. D’un côté, il y a Casual Gabberz, un collectif et label qui depuis une demi-décennie fait revenir le gabber batave sur le devant de la scène, formé de personnalités pour la plupart issues d’autres scènes que le gabber. De l’autre, il y a la Fédération du Boukan, une équipe basée entre Paris et Cergy qui réunit autour du DJ et producteur Bamao Yendé des artistes (Nyoko Bokbae, Fatal Walima) nourris de UK bass (garage, grime, UK funky) et de sons afro-caribéens modernes. 

Toutes ces filles et tous ces garçons sont noir.e.s, blanc.he.s ou arabes, souvent imprégnés d’esprit queer. C’est une nouvelle génération qui annonce un futur hardcore mais excitant, et dont Nadsat sera, on l’espère, la pierre fondatrice dans le mainstream musical français.

Ce projet a été pensé et conçu avant la crise sanitaire survenue en mars dernier. Il n’en est pas moins d’actualité aujourd’hui, surtout que les scènes locales sont désormais mises au premier plan. Les artistes présents sur Nadsat peuvent d’autant plus s’affirmer comme les fer-de-lance de la nouvelle musique française. La crise empêchant les musiciens étrangers de venir dans l’Hexagone, le public a toute son attention portée sur la production nationale, et donc sur cette compilation. Et pour s’exposer du mieux possible, avec les moyens disponibles, a été mis en place un partenariat avec Arte Concert, Technopol et le festival allemand United We Stream (festival créé au début du confinement). La formule a déjà été testée avec succès depuis mars à Berlin : elle consiste à diffuser des livestreams de DJ, du jeudi au dimanche, et à donner les gains aux clubs – 500 000 euros ont déjà été reversés. À partir du 4 juin, une déclinaison française débutera et un plateau Nadsat y sera proposé.